PARFUMEUR DES GRANDS ESPACES
publié le 2 janvier 2023Il y a 20 ans, nous parfumions le concert d’Alain Bashung au Bataclan de la “Tournée des Grands Espaces”.
LA PETITE ENTREPRISE
La rencontre avec Alain Bashung est une histoire de « bikers », une histoire du rock.
La régie du chanteur et la sécurité était supervisée par Doudou La Joncaille et ses amis motards parisiens.
L’un de ces derniers était un ami très cher aux sculpteurs d’arômes d’Asquali : Jacqui Ledresseur et Michael Moisseeff.
A cette époque, en 2003, j’étais leur disciple, j’apprenais à parfumer des concerts.
Ils m’ont propulsé dans un voyage sensationnel dans le monde des senteurs.
LA RÉGIE OLFACTIVE
Concernant les aspects techniques, quatre systèmes de diffusion d’odeurs avaient été installés dans la salle du Bataclan avant le jour du concert :
- Deux systèmes en façade, camouflés au niveau des enceintes de part et d’autre de la scène, l’un côté jardin, l’autre côté cour.
- Au niveau du balcon, deux systèmes sanglés pour une diffusion type en douche comme un projecteur.
Lors de la soirée, nous étions 2 techniciens :
- L’un, caché derrière le système de sonorisation (Bashung était à ma droite) et pouvant contrôler les deux ventilations sur un seul point.
- Le deuxième au niveau du balcon pour s’assurer de la synchronisation olfactive et de la sécurité du public proche des machines dans la salle.
Concernant la partition olfactive sur la trentaine de morceaux joués pendant le spectacle, uniquement deux chansons avaient leurs parfums.
La première composition olfactive s’articulait autour des huiles essentielles d’oliban et de myrrhe pour donner une dimension spirituelle au « Cantiques des cantiques », véritables chants d’amours.
Ces poèmes alternés entre une femme et un homme étaient chantés en duo avec Chloé Mons, la compagne d’Alain Bashung, tout deux sur cette scène pentue.
Puis, l’ambiance se faisait moins religieuse.
Toujours aussi transcendant, sa voix en apesanteur, Alain Bashung se retrouve seul sur scène et interprète « Madame Rêve ».
Son parfum de fleur blanches narcotiques apparait.
MÉMOIRE POLY-SENSORIELLE
L’émotion de ce concert parfumé retrouvée vingt ans plus tard.
Tous deux conférenciers lors du colloque « Création recherche en olfaction (acte1) : pratiques et métiers en mutations » qui a eu lieu à Toulouse en 2022, Olivier Pierre David et moi-même ne nous étions jamais rencontrés physiquement auparavant pour évoquer cette expérience commune.
Cette soirée-là, Olivier était présent dans le public ; quant à moi, j’étais à la régie olfactive.
Dissimulé, je me souviens de la réaction surprenante du public dont les narines était emplit premièrement d’encens.
Pendant notre échange au colloque, les poils sur les bras d’Olivier Pierre se sont hérissés par cette intense mémoire parfumée et musicale ; pour moi, une larme de bonheur.
Les mots d’Olivier résument notre connexion : “Retrouvailles émotionnelles presque 20 ans plus tard pour évoquer ce souvenir gravé dans nos mémoires polysensorielles”
OSEZ JOSÉPHINE
“Osez Joséphine” est le titre du huitième album studio d’Alain Bashung ainsi que celui d’un des singles qui le composent avec “Volutes” et “Madame Rêve”.
Ma maman se prénomme Joséphine.
A la fin de la représentation, j’insiste auprès de l’un des « bikers » en charge de la sécurité du chanteur pour le rencontrer.
Dans sa loge, sa famille, ses amis, Pascal Nègre, à l’époque directeur d’Universal Music France, étaient aussi présents.
Je m’approche d’Alain, en sueur et sur un programme au format de carte postale, il dédicace, accompagné de sa signature, “à Joséphine”.
Cette anecdote n’aurait été que le témoin de ma détermination si elle s’était arrêtée là.
En rentrant dans ma chambre d’hôtel, je m’aperçois que je n’ai plus l’autographe.
Je me résigne donc à admettre que cela était une peine perdue.
Le lendemain matin, nous nous dirigeons avec Michel, l’autre technicien pour réaliser le démontage et décrochage des machines à odeurs.
Sous la pluie, piétinée (il y a encore des traces de chaussures), je retrouve la dédicace d’Alain Bashung qui avait passé la nuit devant l’entrée du Bataclan.
FANTAISIE MILITAIRE
Dans notre conscient collectif, le Bataclan nous renvoi terriblement aux attentats terroristes du 13 novembre 2015.
Grâce à ce concert, j’ai pu parfumer cet espace avec des senteurs d’encens.
Pour le parfumeur, l’encens est une matière volatile profondément humaine.
Elle est une connexion pacifique avec les êtres.
Plus que d’encenser des religions, plus que de parfumer des lieux de cultes, nous préférons, comme pour le Bataclan, parfumer des lieux de culture.
Nos pensées aux victimes, comme des volutes partent en fumée.